Voici la belle chronique que la revue Djam a écrit sur Tribulus Terrestris.
Merci Pierre Tenne !
Si la vérité est femme, le chroniqueur musical serait plus DSK que Lovelace. Mais la vérité n’a pas de sexe, les chroniqueurs musicaux toujours le même ou presque et sic non transitgloria mundi, mon pote. Pourquoi je dis ça, moi… Ah oui ! comment j’écris là-dessus ? Qu’on me dise comment! L’arsenal habituel, on en fait quoi ? Enervé. Hors de moi.
Première cartouche dans la gibecière du journaliste : le genre. Parlons-en ! Le jazz, certes : l’estampille Jo Jones sur la légèreté du geste de Luc Isenmann, le primesaut swing des 88 touches de Laurent Bronner, 10/10 en note esthétique pour son grand écart facial Lennie Tristano-Randy Weston poursuivi par un triple-axel harmoniquement grand ouvert. Clap clap. Mais quel jazz ? La tentation free de « The Night of Dead Cats », plus libre que free d’ailleurs ? La ballade des « Dancing Dogs » qui étire une modalité très blues sur des impressions d’un modernisme assumé, quasi wayne-shortérien ? Et puis le jazz, je veux bien ! On rase gratis ! Et vous faites quoi du funk (« Lonesome Lover », repris à Max Roach et Abbey Lincoln), du groove rockailleux, du tango ? Non non non. On me dit : « et oui pauvre tâche, c’est hybride ! Résolument moderne ! Pluri-disciplinaire… Sensuel telle à l’aube cette caresse diaphane de la corolle d’orchidée ouverte sur une cuisse de faon… » Peut-être, mais ça se range où ? Hein ? Ah ! Je vous emmerde, moi.
Attention, j’en ai plein ma besace des critères : la technique, l’enregistrement, la production, le talent des musiciens… Bon. Passons là-dessus. Les mecs assurent, quoi…
Encore un : les influences ! Haha ! Olivier Brandily dit s’inspirer de Roland Kirk, ce qui est navrant. Un olibrius qui passait son temps à mettre trop d’instruments entre ses lèvres, lorsque tout le monde sait qu’un seul suffit… D’accord, l’influence n’est pas usurpée : est-ce vraiment une gloire ? Peut-on se vanter en 2016 de trouver à cinq des arrangements rappelant Mingus pour la perfection je-m’en-foutiste, Carla Bley pour l’humour coquinou (« Miel de Jacaranda ») ? Non, c’est vergogneux. Pire, c’est suspect. Un peu trop bien fait pour être honnête. Je vais te déchoir tout ça de nationalité, moi. Et sans traîner.
Les instruments, pardi ! Goût des gros cuivres avec trombone à coulisse (Ramon Fossati : péché mignon), tout pour plaire ! Un coup tout doux (« Lluna de Montoliu »), un coup tout bourrins (« Tribulus Terrestris ») ; là binaires et à l’unisson, ailleurs entrelacés avec le piano dans des dialogues mélodiques et improvisés jamais épuisés. Bim ! Je dis prix de l’Académie du jazz, cinq étoiles, disque de l’année, best of … Tout le toutim ! Mais quel besoin de rajouter des coquillages ? Si si ! Je jure : des coquillages ! En instruments… Avant (soit entre 629 et 639, soit entre 1940 et 1945 dans l’Allier), on n’aurait jamais osé car on savait se tenir.
J’arrive à épuisement, mais il me reste deux-trois trucs : le disque. L’objet. Façonné par l’artiste catalan Marcel.li Antunez Roca, il faut lui reconnaître une bonne gueule. Quoique je ne sois pas bon juge et préfère quand la peinture ressemble à la réalité. Les impressionnistes ça va : ça ressemble pas trop, mais on reconnaît quand même. Enfin…. Faites-vous votre idée, tiens.
J’arrête là. Je connais tous les trucs. Je te continue cette chronique à l’infini, plus que le Mahabharata ou Buzz l’Eclair. Trop énervé, déçu… Hors de moi. Au fond, certaines musiques ne devraient pas être chroniquées, qui comme exprès refusent à se laisser réduire en mots. Par malice. Par folie. Par légèreté qu’aucune colonne à la une jamais n’atteindra. Une générosité, une vérité – la revoilà – que seule la musique offre lorsqu’elle est bien tournée. A les entendre, la tentation vient d’inviter le lecteur à simplement écouter ; ne plus lire. Suffisait d’y penser.
Epilogue :
Roland Kirk : « qu’as-tu fait, pauvre type ? »
Le pauvre type : « Ce bon vieux Rashaan ! »
R.K. : « Tu as prononcé mon nom en vain, sous prétexte d’une chronique d’une lourdeur inimaginable pour parler exclusivement de toi. Tu as tourné en dérision mon enseignement. Philistin de peu de foi… »
P.T. : « Cool. On est en manque de clics, vous avez le temps pour un petit blindtest ? »
Pierre Tenne
Five in Orbit, Tribulus Terrestris, Fresh Sound New Talent/Socadisc, sortie le 15 février 2016
Concert de sortie le 31 mars 2016 au studio de l’Ermitage, Paris XXe.
Lien de la chronique sur Djam :
https://djam.squarespace.com/blog/2016/1/12/five-in-orbit-tribulus-terrestris